Plantations

Abeille sur cornouiller mâle

Plantes (presque) indigènes, exotiques

Transplanter une fleur sauvage de son milieu naturel vers un jardin comporte toujours un risque : celui de la voir ignorée des butineurs qui s’y trouvent et séparée de ceux qui lui conviennent. Sauf s’il s’agit d’une fleur indigène.

Pour une région donnée, une espèce végétale est dite indigène si elle fait naturellement partie de sa flore. Les indigènes sont les sauvages locales. Par exemple, les cornouillers (Cornus mas, Cornus Sanguinea) sont des arbustes natifs de nos régions, amis des abeilles.

Une espèce est dite presque-indigène si elle n’est pas indigène mais s’il existe dans notre flore une espèce apparentée ayant le même type de fleur. Elle sera reconnue par nos insectes.

Exemple. Une sauge de Turquie est presque-indigène en France car sa fleur est analogue à celle de nos sauges. La Turquie et la France appartiennent à la même zone de biodiversité : les rives de la Méditerranée et de la Mer Noire. On y trouve les mêmes groupes de pollinisateurs.

Les fleurs indigènes ou presque mettent le jardin en continuité avec la nature environnante. Ces sauvageonnes présentent parfois un défaut, un port haut et dégarni, un feuillage ordinaire ou des petites fleurs discrètes. Souvent, on ne les trouve que sous forme de graines. Mais il est important d’en inviter au jardin car elles sont bien reconnues par nos butineurs. On peut même concevoir un jardin avec seulement ce type de plantes.

Une espèce est dite exotique s’il n’existe en France aucune espèce ayant le même type de fleur : sa fleur est sans équivalent dans notre flore. Au jardin, elle sera probablement délaissée.

Exemple. Salvia elegans, une sauge du Mexique, est une exotique, car elle a une fleur à colibris, absente de la flore française. Sauf quelques sphinx et des voleurs de nectar, nos insectes sont incapables de la butiner, car elle est munie d’un long tube étroit et leur ‘langue’ est trop courte.

Une plante native d’un pays lointain n’est pas forcément exotique : par exemple, le chèvrefeuille d’hiver Lonicera fragrantissima, natif de Chine, n’est pas exotique : il est presque-indigène car sa fleur est identique à celle du chèvrefeuille des haies, Lonicera xylosteum, commun en France.

Complément : la vanille, une exotique, voir plus bas.

Salvia elegans, une fleur exotique

Conclusion : dans tous les choix de plantes pour le jardin, bannir les horticoles dénaturées, les fleurs doubles, et limiter les exotiques.

Un bar à nectar

Pour les abeilles, syrphes et papillons, les fleurs sont, par leur production de nectar et de pollen, de loin la première ressource, indispensable.

Installer une grande diversité de fleurs, pour que chaque groupe de pollinisateurs y trouve son compte. Ne pas oublier celles destinées aux papillons (de jour ou de nuit).

Prévoir un étalement des floraisons, de février à octobre, pour un jardin ornemental qui démarre tôt et finit aux premières gelées, sans panne de fleurs :

  • Floraisons précoces, destinées aux jeunes adultes ailés qui prennent leur premier envol, et à ceux qui sortent de leur pause hivernale : bruyère d’hiver, chèvrefeuille d’hiver, mahonia, pulmonaire, …
  • Floraisons tardives destinées aux butineurs qui vont hiverner ou migrer (futures reines de bourdons, abeilles à miel, papillons) : aster d’automne, eupatoire rugueuse, sédum, verge d’or, vernonia, …

Grouper des plants identiques pour que leurs fleurs fassent une grande tâche colorée à fort impact visuel. Pour une abeille ou un papillon, c’est l’assurance de visites groupées avec un minimum de déplacements.

Inviter les plantes aromatiques, culinaires ou médicinales, amies des abeilles dans la partie ornementale : sauge officinale, sauge sclarée, origan, thym, romarin, sarriette …

Chez les Astéracées et d’autres familles, des inflorescences, riches en graines, sont recherchées par les oiseaux en hiver, ce qui suppose de ne pas les tailler à l’automne, mais au début du printemps.

Cette taille au début du printemps est à pratiquer sur toutes les vivaces moyennement rustiques : elles supportent mieux les gelées quand elles n’ont pas été mutilées par une taille à l’automne.

Une haie libre

Privilégier une haie libre : 2 à 3 m de hauteur, au moins 2 m de largeur, avec un mélange d’essences variées par leur taille (les plus hautes dans le fond), par leurs ports (dressé ou en boule), par leurs périodes de floraison, par leur feuillage caduc, marcescent ou persistant, par les teintes qu’il prend à l’automne …

Éviter les conifères, oublier la banale haie uniforme, taillée en parallélépipède (rangée de thuyas, cyprès, lauriers-cerises, … ) : elle forme un cadre strict et monotone. Au contraire, une haie libre évolue en permanence selon la saison, dans sa forme, ses fleurs, ses fruits et ses couleurs.

Privilégier les essences indigènes ou presque, attractives aux butineurs et oiseaux. Par exemple : Amélanchier, Aubépine, Bourdaine, Céanothe, Chalef, Chèvrefeuille d’hiver, Chèvrefeuille des haies, Cornouiller Sanguin, Cotonéaster, Laurier-tin, Mahonia, Noisetier, Prunellier, Pyracantha, Symphorine, Troène commun, Viorne Obier, …

Sous le nom de « haie mellifère », des pépiniéristes vendent des kits d’espèces à planter en automne, certains mieux pensés que d’autres.

Attention à la législation, un arbuste d’une hauteur supérieure à 2 m à l’âge adulte doit être planté à au moins 2 m de la clôture du voisin.

Planter en automne. Si possible, creuser deux tranchées parallèles : c’est vite fait avec une micro-pelle. Planter en quinconce. Sur chaque rangée, une distance de 1,5 m à 2 m entre deux grands arbustes correspond à la plupart des cas, 1 m suffit pour des petits. Ne pas trop serrer les plants ! Même si l’ensemble paraît vide durant 2 ou 3 ans, il se remplit quand les arbustes atteignent leur taille adulte.

Éviter de dérouler au sol une bâche synthétique, ça fera moins de plastique dans la nature. Couvrir le sol par un paillis végétal, qui limitera les adventices et gardera l’humidité. Arroser après la plantation, puis le premier été.

Une haie libre demande peu d’entretien, et sa taille n’est pas indispensable. Le cas échéant, distinguer deux cas :

  • Arbustes à floraison printanière : tailler juste après la floraison, en fin de printemps. Attention aux nids d’oiseaux, retarder si nécessaire.
  • Arbustes à floraison estivale : tailler à la sortie de l’hiver, en février / mars.

Un couvre-sol

On appelle couvre-sol une association de plantes formant une couverture végétale continue, sans arrosage, avec peu de corvées d’entretien (taille une ou deux fois par an, désherbage nul ou réduit). Ce sont les premiers alliés du jardinier fainéant. Un bon couvre-sol se distingue par :

  • Un feuillage de préférence persistant, dense, privant les adventices (‘mauvaises herbes’) de lumière,
  • Un enracinement profond, une croissance rapide, et la propagation par rhizomes, drageons, stolons …
  • Une bonne rusticité, de faibles besoins en eau, une bonne résistance à la sécheresse,
  • Une valeur ornementale et écologique : soutien des pollinisateurs et des oiseaux (graines),
  • La résistance aux maladies.

Les couvre-sols permettent de couvrir rapidement des surfaces ingrates, comme un talus pentu peu accessible, une zone ombragée sous un arbre, un remblai tassé par des engins de chantier. Ils sont peu exigeants sur la nature du sol, pourvu qu’il soit décompacté pour permettre un bon enracinement. Sauf sur une petite surface de quelques m², le travail du sol est éprouvant et il est préférable de recourir à des outils motorisés.

En plus d’être beaux et de soutenir la biodiversité, les couvre-sols protègent les pentes contre l’érosion, étouffent les sons, absorbent la poussière, gardent l’humidité du sol.

Le secret est d’associer des plantes complémentaires, qui conjuguent leurs qualités et compensent leurs défauts. Un feuillage caduque doit être accompagné d’un persistant, des floraisons décalées doivent se joindre à une printanière. Pour un couvre-sol tapissant, une espèce qui résiste au piétinement doit pallier la fragilité d’une autre.

Pour le choix des espèces, tenir compte du climat, de l’exposition (soleil ou ombre), du sol (drainé ou argileux), des ressources en eau. La plupart des couvre-sols sont constitués de plantes ligneuses. Les couvre-sols herbacés sont injustement sous-représentés ; on en verra un exemple avec les géraniums vivaces.

Voici quelques plantes ligneuses traitées plus loin et pouvant entrer dans la composition d’un couvre-sol : Barbes bleues (Caryopteris), Bruyères, Busserole A. uva-ursi, les Céanothes Ceanothus ‘Emily Brown’, Ceanothus. ‘Yankee Point’, Ceanothus repens et Ceanothus prostratus, Cératostigmas, Cistes, Grémils (Lithodora), Halimiums, Hélichryses et Santolines, Lavandes, Phlomis, Romarins, Sauges arbustives du Mexique.

Idem avec des herbacées : Chélones (mi-ombre), Géraniums vivaces, Nepeta x faassenii, Orpins, les Phlox divaricata et Phlox stolonifera, Sauge officinale, Sauges Salvia x sylvestris.

Les zones

Il est utile de découper le jardin ornemental en plusieurs zones :

La précieuse zone Soleil d’hiver. Les insectes sont à sang froid : ils ne produisent pas de chaleur interne, sauf en faisant vibrer les muscles de leurs ailes. En été, les insectes butinent à l’ombre, mais en févier-mars, par temps frais, les abeilles précoces ne visitent que les fleurs exposées au soleil pour se réchauffer tout en butinant.

Mais où trouver du soleil en févier-mars ? Le soleil est bas, rasant, les murs, les façades ou les arbres projettent leurs ombres sur le jardin, sauf peut-être sur une zone qui profite de quelques heures de soleil franc par jour : c’est la zone Soleil d’hiver. C’est ici qu’il faut planter les floraisons précoces, installer un nichoir à insectes et un siège de jardin pour profiter vous-même des premiers rayons de soleil en février !

La zone pentue bien ensoleillée. Il s’agit par exemple d’un talus bien exposé dont la pente facilite un ruissellement rapide de l’eau de pluie en surface. C’est là qu’il faut planter les plantes de type méditerranéen, qui ne supportent pas l’humidité stagnante en hiver. Voir la page Jardin sobre en eau.

La zone Soleil de plomb. On la trouve au pied d’un mur qui fait face au sud. En été, c’est une fournaise que seules des plantes issues de zones arides supportent.

La zone domestique, près de la maison et du robinet. On y mettra de belles plantes ayant besoin d’arrosages réguliers en été. La zone intermédiaire, où on mettra celles qui se satisfont d’arrosages occasionnels. La zone éloignée, pour les plantes chameaux jamais arrosées.

Les graines

Semer est un moyen plaisant et bon marché de former de grands massifs. Les graines amènent la variabilité entre les plants, alors que ceux issus d’un cultivar sont tous identiques (ce sont des clones). Choisir des espèces peu ou pas modifiées, amies des pollinisateurs.

Certains grainetiers se limitent à revendre des graines de plantes horticoles, mais d’autres – comme Semences du Puy – proposent des plantes originales, dans leur version sauvage non modifiée, et font de la production locale. Voici une liste (loin d’être complète) de graines :

Famille des Apiacées : Eryngium alpinum et E. planum. Astrantia major (Grande astrance), Anethum graveolens (aneth),

Astéracées : Anthemis tinctoria, Aster amellus, Calendula officinalis (Souci officinal), Echinacea purpurea, Eupatorium cannabinum, Helenium autumnale, Inula helenium (Grande aunée), Leucanthemum vulgare (Marguerite commune), Solidago virgaurea, Tanacetum vulgare (Tanaisie). Centaurea jacea, C. nigra et C. cyanus. Cirsium rivulare, Echinops ritro, Cynara cardunculus, …

Boraginacées : Borago officinalis, Echium vulgare, Symphytum officinale, …

Brassicacées : Hesperis matronalis, Lunaria annua, Erysimum cheiri, …

Campanulacées : Campanula latifolia var. macrantha, C. glomerata, C. persicifolia, C. trachelium, Jasione montana, …

Caprifoliacées : Centranthus ruber (Valériane rouge), Dipsacus fullonum, Knautia arvensis, Knautia macedonica, Lomelosia caucasica, Scabiosa columbaria, Succisa pratensis, …

Caryophyllacées : Silene dioica, Silene latifolia, Saponaria officinalis, Saponaria ocymoides, …

Crassulacées : Sedum telephium, Sedum aizoon, …

Fabacées : Coronilla varia (Coronille bigarrée), Melilotus officinalis (Mélilot jaune), Dorycnium hirsutum (Bonjeanie hirsute), …

Lamiacées : Les sauges Salvia nemorosa, S. pratensis, S. sclarea et S. apiana. Agastache foeniculum et A. rugosa. Calamintha nepeta, Monarda citriodora, Nepeta cataria, Origanum vulgare, Phlomis purpurea, Teucrium chamaedrys, Hyssopus officinalis (Hysope officinale), …

Plantaginacées : Veronica longifolia, V. incana et V. spicata. Penstemon strictus, P. smalii et P. ‘Husker red’, …

Scrofulariacées : Verbascum densiflorum, V. lychnitis, V. phlomoides et V. thapsus, …

Verbenacées : Verbena bonariensis, V. officinalis, …

Autres familles : Epilobium angustifolium (Épilobe à feuilles étroites), Filipendula ulmaria (Reine-des-prés), Lythrum salicaria (Salicaire), Malva moschata (Mauve musquée), Polemonium caeruleum (Échelle de Jacob), …

La hiérarchie au jardin

Dans un jardin ornemental bien conçu, la richesse de fleurs est telle que les insectes choisissent en priorité les plus faciles à butiner, les plus riches en pollen ou en nectar. Une hiérarchie artificielle se forme entre des plantes importées des quatre coins de la planète, réunies par la fantaisie du jardinier. Certaines fleurs, championnes dans leur milieu naturel, sont délaissées au jardin, soumises à une concurrence trop forte.

Les jardins publics

Une prairie du Hermannshof

Ils font la part trop belle aux pelouses et variétés horticoles. Leurs coûts d’entretien (jardiniers, eau) sont élevés, pour un soutien médiocre de la biodiversité.

Un contre-exemple : le Hermannshof, situé à Weinheim (Allemagne), a pour objectifs un faible coût et un fort impact. Il présente des prairies de vivaces associées à des graminées, en prenant divers modèles, comme la Grande Prairie nord-américaine. Des idées qui manquent en France.

Complément : la vanille Bourbon, une exotique

La vanille est le fruit d’une liane proche des orchidées, native du Mexique. Sa fleur y est pollinisée par des euglossines, abeilles locales spécialistes des orchidées. Les gousses mexicaines ont été importées en Europe dès le 15iè siècle par les espagnols. Toutes les tentatives pour exploiter la vanille sur d’autres continents ont échoué aux 17iè et 18iè siècles : la fleur ne se transformait pas en gousse. On ignorait le mécanisme de la pollinisation, et le rôle joué par les abeilles euglossines. Le Mexique a gardé son monopole commercial jusqu’au milieu du 19iè siècle .

Il a fallu attendre cette période pour que les premières pollinisations artificielles aient lieu, en Belgique (1836) et en France(1837). Cette technique consiste à prélever manuellement du pollen d’une fleur, puis à le mettre sur le stigmate d’une fleur à polliniser. En 1841, un jeune esclave de l’île Bourbon (aujourd’hui La Réunion), Edmond Albius, âgé de douze ans, a lui-même découvert la technique encore utilisée de nos jours, et qui a permis la production de gousses de vanille Bourbon à la Réunion, puis à Madagascar. La pollinisation manuelle demande beaucoup de main d’oeuvre, d’où le prix élevé de la vanille.