Abeilles solitaires

Megachile rotundata coupeuse de feuilles

Les abeilles solitaires sont des abeilles sauvages qui ne vivent pas en colonie structurée. Comme elles ne produisent pas ou très peu de miel, elles sortent des radars et on s’en désintéresse, malgré leur déclin.

Les abeilles solitaires restent discrètement présentes dans les zones urbaines, grâce aux parcs, jardins, friches, toits végétalisés, bords des voies ferrées, où elles profitent de l’absence de pesticides et du micro-climat, les villes étant plus chaudes.

En butinant, la femelle stocke le nectar dans son jabot, et le pollen sur une brosse de poils située sous l’abdomen (brosse ventrale) ou sur les pattes postérieures. Elle récolte les grains de pollen à sec, sans les mélanger à du nectar ou de la salive, donc elle en éparpille en vol, prêts à polliniser.

Elles sont souvent spécialistes d’un genre botanique ou d’un espèce donnée et excellent dans leur pollinisation.

Moins frileuses que celles à miel, la plupart des abeilles solitaires ont un seuil thermique d’activité plus bas : elles sortent par temps frais.

Pour toutes ces raisons, elles sont meilleures pollinisatrices que celles à miel.

Certaines d’entre elles ont une taille XS super small, de moins de 8 mm de long. Ce sont les invisibles parmi les oubliées ! Munies d’une langue courte, 2 ou 3 mm, elles sont souvent spécialistes d’une famille botanique comme les Astéracées, les Apiacées ou les Rosacées, où le pollen et le nectar sont très accessibles. Malgré leur petit format, elles sont très efficaces.

Cycle de vie

Après l’accouplement, chaque femelle fait son propre nid dans une cavité existante ou qu’elle creuse dans le sol, du bois mort, des tiges à moelle … Celles qui nichent dans le sol ne sont pas attirées par les hôtels à insectes. La femelle pond un œuf dans un conduit, y entasse pollen et nectar puis construit une cloison, ce qui donne une cellule. En répétant ce procédé, elle obtient une suite de cellules en enfilade. Dans les mois suivants, l’œuf se transforme en larve, puis en nymphe, puis en adulte ailé. En général, une femelle ne verra pas voler sa progéniture.

En général, les jeunes abeilles solitaires hivernent dans leurs cellules, en diapause (vie ralentie). Au printemps suivant, les premières à s’envoler sont les dernières pondues, les plus proches de la sortie du tunnel, et ce sont des mâles, qui butinent et pollinisent mais ne stockent pas les ressources nutritives. Quelques jours après l’envol des mâles, c’est au tour des femelles. Les mâles, qui font le guet près du nid, s’accouplent avec elles dès leur sortie du nid. Ils ne servent qu’à la reproduction et meurent quelques jours après l’accouplement.

La plupart des envols ont lieu en mai-juin, mais certaines abeilles précoces comme l’osmie cornue sont actives dès février-mars. La majorité des espèces n’ont qu’une génération par an, d’autres en ont deux. La femelle adulte a une durée de vie de 3 à 6 semaines, moins si la météo est défavorable, un délai court pour assurer la survie de l’espèce.

Certaines espèces d’abeilles solitaires vivent en bourgades : elles rassemblent leurs nids en un même lieu, côte à côte. Dans une bourgade, il n’y a pas de reine, pas de coopération, pas de répartition des tâches. C’est seulement une juxtaposition de nids en un lieu qu’elles trouvent particulièrement favorable. Par exemple, la collète lapin Colletes cunicularius, espèce précoce volant en mars – avril, fonde souvent des bourgades dans des lieux sableux.

De nombreuses espèces d’abeilles ne construisent pas de nid et vont pondre chez les autres. Ce sont des parasites ou abeilles coucous.

L’abeille solitaire ne pique pas, n’est jamais agressive car elle n’a pas de stock de miel à défendre  et ses larves sont en sécurité dans le tunnel.

Il existe en France des centaines d’espèces d’abeilles solitaires, qui forment à elles seules un monde foisonnant et complexe. En voici quelques-unes, communes et faciles à identifier :

2) Famille des Apidés, genres Xylocopa et Anthophora

C’est la famille de l’abeille à miel et des bourdons, deux espèces sociales, mais aussi celle de l’abeille charpentière, une espèce solitaire.

Les xylocopes (genre Xylocopa)

Le xylocope violet Xylocopa violacea, abeille charpentière ou charbonnière, est la plus impressionnante des abeilles du jardin par sa taille (environ 3 cm de long pour la femelle), son bourdonnement, sa robe noire aux reflets violets et ses ailes fumées. Un bijou volant ! Ne le détruisez pas, elle est paisible.

Ses plantes préférées : glycine, pois de senteur, sauge farineuse, sauge sclarée, phlomis … La femelle porte des brosses à pollen sur les pattes postérieures.

Contrairement au bourdon, Dark Vador ne sort guère par temps frais ou pluvieux. Sa présence récente au nord de la France serait une conséquence du réchauffement climatique.

Noter sur l’image le pollen déposé par les étamines sur le dos du xylocope. Plus de détails dans  Mécanisme du levier, page Introduction aux Sauges.

Xylocope violet butinant une sauge

Au printemps, les xylocopes s’accouplent et les femelles construisent un nid en perçant des galeries dans du vieux bois, créant parfois des nuisances. Les cloisons sont faites de copeaux de bois et de salive. Les pics, alertés par le bruit du grignotement, sont les ennemis des larves. Les jeunes adultes ailés quittent leurs cellules et s’envolent dès le mois d’août. Ils hiverneront dans les abris jusqu’en avril.

Le xylocope a une langue d’environ 7 mm de long, comme l’abeille à miel, bien plus courte que celle de l’anthophore à pattes plumeuses ou du bourdon des jardins. Ce qui explique pourquoi le xylocope vole le nectar dès qu’une corolle est profonde.

Les anthophores (genre Anthophora)

L’anthophore à pattes plumeuses Anthophora plumipes est une abeille trapue, à forte pilosité. Elle fait partie des abeilles précoces : elle vole dès février-mars, jusqu’en juin.

Le mâle est brun-beige. Il est territorial, harcèle les autres mâles qui s’aventurent sur son domaine et s’accouple avec les femelles qui viennent y butiner.

La femelle existe sous deux couleurs : la plus courante, brun-beige comme le mâle, ou bien noire sauf sur les pattes arrière, oranges. Elle niche dans les talus ensoleillées, berges, murs, … , formant parfois des bourgades.

Pour distinguer les deux sexes : le mâle porte des ‘plumes’ (longues touffes de poils) sur les pattes médianes. La femelle porte de brosses à pollen sur les pattes postérieures.

Anthophora plumipes femelle sur pulmonaire

Sa langue exceptionnellement longue, environ 13 mm, presqu’autant que son corps, entre 13 à 16 mm, et qui lui permet d’atteindre le nectar au fond de corolles étroites et profondes.

On confond facilement cette « abeille à fourrure » avec un bourdon. Comme lui, elle peut collecter le pollen par vibrations, voir Abeilles sociales. Mais, contrairement à lui, A. plumipes a un vol vif, et peut butiner en vol stationnaire, la langue tendue en avant. On la voit sur les lamiers, pulmonaires, consoudes, où les mâles attendent les femelles.

3) Famille des Mégachilidés, genres Osmia, Anthidium et Megachile

La femelle des Mégachilidés présente une brosse à pollen ventrale, la scopa. Elle niche dans une cavité existante, généralement au-dessus du sol.

Les osmies (genre Osmia)

L’osmie cornue Osmia cornuta est une petite abeille très rustique, reconnaissable par la toison couleur rouille de son abdomen et sa tête noire. La femelle porte deux « cornes » sur le front. Les mâles sont plus petits et portent une houpette de poils blancs sur la tête.

Les adultes s’envolent dès février-mars jusqu’en juin. Si l’hiver se prolonge, les troupes sont envoyées au casse-pipe : la mortalité est énorme.

Les mâles s’envolent les premiers, suivis des femelles deux semaines plus tard. Dès sa sortie, la femelle s’accouple, puis va nicher dans des tiges creuses, ou des galeries forées dans le bois par des insectes xylophages. C’est une pensionnaire des nichoirs à insectes, où elle assure le spectacle. On la qualifie d’abeille maçonne car elle utilise un mélange de terre pour tapisser, séparer les cellules et boucher la galerie.

Les osmies sont des spécialistes des rosacées à floraison précoce : pommiers, cerisiers, amandiers, aubépine, églantier, … La vaillante femelle les pollinise même par temps frais et venteux. Longueur : 10 à 15 mm.

Osmies cornues, accouplement
Les anthidies (genre Anthidium)

Anthidium manicatum est une abeille très commune, noire ornée de rayures jaunes. On la voit voler de mai à septembre. Son vol est rapide, elle peut faire du vol stationnaire et même reculer.

On la qualifie d’abeille cotonnière car la femelle arrache avec ses mandibules des fibres végétales sur une plantes poilue, comme une épiaire laineuse, un phlomis, une hélichryse ou un bouillon blanc . Elle les rassemble en une boule qu’elle emporte entre ses pattes pour revêtir son nid douillet.

Anthidium manicatum a souvent deux générations par an. Les mâles (14 à 18 mm) sont bien plus grands que les femelles (10 à 12 mm).

Le mâle est un bad boy : très territorial, il attaque les autres mâles ou même les bourdons qui s’aventurent sur son domaine, et s’accouple avec les femelles qui y butinent ou collectent du coton.

Anthidium manicatum
Les mégachiles (genre Megachile)

Megachile rotundata est une petite abeille noire à rayures grises sur l’abdomen. On la voit voler en été, à partir de juin.

On la qualifie d’abeille coupeuse de feuilles (voir image en haut de page) car la femelle découpe adroitement des encoches circulaires sur les feuilles du jardin (rosier, glycine, …) avec ses mandibules et emporte les morceaux, agrippés entre ses pattes, pour construire son nid. Des feuilles sont en dentelle mais sans conséquence !

Megachile rotundata est élevée industriellement comme pollinisatrice des champs de luzerne. Longueur : 7 à 9 mm.

Comme les autres mégachiles, la femelle stocke le pollen sur une brosse ventrale.

Abeille mégachile

4) Famille des Colletidés, genre Colletes

La collète du lierre Colletes hederae a un thorax très velu, roux, un abdomen orné de rayures de même largeur, blondes et noires. Elle niche en bourgades, dans un sol meuble.

C’est une abeille tardive, spécialiste du lierre Hedera helix. Les adultes s’envolent début septembre, au moment où il fleurit. Ses larves sont nourries uniquement à partir d’une bouillie de nectar et de pollen provenant de cette plante.

Longueur : 10 à 13 mm.

Colletes hederae

5) Autres familles

D’autres abeilles solitaires appartiennent aux familles des Andrenidés, des Halictidés ou des Mélittidés.