Les insectes butineurs
Les insectes qui visitent les fleurs sont principalement les abeilles, papillons, diptères (« mouches ») et coléoptères.
Ils suscitent souvent de la méfiance ou du rejet. Leur petite taille, leur absence d’expression faciale rendent impossible toute communication. Leur organisation sociale et leurs cycles biologiques sont parfois complexes, et pour identifier les espèces, il faut sortir une grosse loupe pour chercher des détails anatomiques qui échappent aux non-spécialistes.
Pourtant, il suffit de de prendre conscience de leur vulnérabilité et de leur grande importance dans le cycle de la vie pour changer notre regard. En les observant quelques minutes de temps en temps, on entre progressivement dans leur univers si déroutant. Finalement, on y prend du plaisir, et on a le sentiment d’une nouvelle expérience enrichissante. Le risque de piqûre est quasi-nul.
Les abeilles, un groupe très diversifié
Les abeilles sont les insectes appartenant à l’ordre des Hyménoptères, répartis en 6 familles : Andrénidés, Apidés, Colletidés, Halictidés, Megachilidés et Melittidés.
Dans cette classification, les bourdons sont des abeilles, car ils appartiennent à la famille des Apidés, alors que dans le langage courant, les bourdons sont distincts des abeilles, car plus gros, plus poilus, … Par la suite, on considèrera les bourdons comme des abeilles.
Comm tous les insectes, l’abeille adulte a un corps en 3 parties : tête, thorax et abdomen. Trois paires de pattes et deux paires d’ailes sont implantées sur le thorax.
Dans sa vie, une abeille est successivement œuf, larve, nymphe, adulte ailé. La nymphe est le stade où la larve se métamorphose en adulte ailé ou imago.
Environ 970 espèces d’abeilles vivent en France, parmi lesquelles une seule est domestique, produit du miel et loge dans une ruche : l’abeille à miel (espèce Apis mellifera), un animal d’élevage, qui appartient aussi à la famille des Apidés.
Le grand public ne connaît que l’abeille à miel et ne conçoit le monde des abeilles qu’à travers ce prisme.
La très grande majorité des espèces ne vivent pas en colonie : elles sont dites solitaires. Chaque femelle solitaire construit son propre nid, récolte sa propre nourriture et nourrit seule ses larves. Exemple : les Andrénidés, Colletidés, Halictidés, Megachilidés et Melittidés sont des familles d’abeilles solitaires, bien que certaines espèces y aient un petit degré de socialisation.
Les espèces qui vivent en colonie sont dites sociales. L’abeille à miel et le bourdon sont des abeilles sociales, dans la famille des Apidés. Dans une colonie, on distingue 3 castes : la reine, les ouvrières et les mâles.
On peut aussi classer les espèces d’abeilles en domestique (l’abeille à miel élevée par des apiculteurs) ou sauvages (le bourdon et les solitaires).
L’abeille à miel est sociale et domestique. Le bourdon est social et sauvage (ici, les deux ne sont pas incompatibles !). Les autres, comme Colletes marginatus (photo en haut de page), sont solitaires et sauvages.
Une abeille femelle butine les fleurs pour collecter du pollen et du nectar, pour elle-même mais aussi pour nourrir ses larves, d’où une intense activité. Pour le transport, l’abeille stocke le nectar dans son jabot (une poche placée entre l’œsophage et le gésier) et le pollen sur des brosses externes situées sous son abdomen ou sur les pattes.
La ‘langue’
La ‘langue’ de l’abeille ou proboscis est un organe complexe formé de plusieurs pièces. Elle peut malaxer, sucer, lécher.
Sa longueur, une fois dépliée, est très variable. Schématiquement, on distingue les langues courtes, 2 à 4 mm chez les Andrenidés, Colletidés, Halictidés ou Melittidés, et les langues longues, 5 mm ou plus, chez les familles des Apidés ou Megachilidés.
Quelques exemples, parmi les langues longues : abeille à miel 5 mm, xylocope 7 mm, bourdon 7 à 14 mm suivant l’espèce, anthophore à pattes plumeuses 13 mm. Ce ne sont que des valeurs moyennes, certains individus vont au-delà.
Un point essentiel : supposons qu’une fleur présente un tube étroit au fond duquel le nectar est secrété. Si la longueur du tube dépasse 5 mm, seules les abeilles à longue langue peuvent l’atteindre du bout de la langue. S’il dépasse 15 mm de long, quasiment aucune abeille n’en est capable et le nectar est réservé aux papillons ou colibris.
Les abeilles à courte langue ne peuvent butiner que les fleurs ouvertes, sans profond tube à nectar. Elles les trouvent par exemple chez les Astéracées (marguerites, pissenlit), les Rosacées (arbres fruitiers, églantier, aubépine) ou les Apiacées (angélique, carotte sauvage). Celles à longue langue délaissent superbement ces fleurs aux récompenses faciles, qui attirent la cohue des courtes langues.
Ainsi, la longueur de la langue conditionne directement la gamme de fleurs qu’une abeille peut butiner. C’est schématique car d’autres facteurs interviennent aussi, comme les dimensions de l’abeille.
Pollinisation
En transportant du pollen, semence mâle des fleurs, fixé sur leurs poils, les abeilles le dispersent, des étamines d’une fleur au stigmate d’une autre fleur, d’où pollinisation. Les abeilles sont les plus importants pollinisateurs d’Europe, car, comparées aux papillons et aux ‘mouches’, ce sont des butineuses très actives, et leur corps velu transporte de nombreux grains de pollen.
Le pollen est spécifique : chaque espèce de plante a son propre pollen, qui ne peut pas féconder d’autres espèces, sauf parfois celles proches et compatibles (hybridation).
Abeille généraliste ou spécialiste
Une abeille butine le pollen et le nectar des fleurs, mais pas forcément de toutes celles qu’elle rencontre !
Soit elle est généraliste : la gamme de fleurs qu’elle butine est large, dans plusieurs familles végétales. Elle a souvent une longue période de vol dans l’année. Exemple : une abeille à miel est généraliste, pouvant butiner des centaines d’espèces différentes. Résultat : elle transporte sur ses poils de nombreux types différents de pollen.
Soit elle est spécialiste : elle a une forte préférence pour le pollen de fleurs venant d’une seule famille botanique (exemple : les Campanulacées), ou à un seul genre dans cette famille (exemple : les campanules), ou même à une seule espèce de ce genre. Elle ne butine que ces fleurs, donc ne transporte que leur pollen sur ses poils.
Soit, et c’est le cas de loin le plus fréquent, elle n’est ni généraliste ni spécialiste, plutôt intermédiaire entre les deux, avec des préférences plus ou moins marquées.
Généralement, l’abeille spécialiste est une solitaire qui niche dans le sol, appartenant aux familles des Andrenidés, Halictidés ou Melittidés. Sa période de vol est courte, quelques semaines, calée sur la floraison de ses plantes élues. Elle devine spontanément les gestes pour les butiner, et leurs pièces buccales sont bien adaptées à la forme de la fleur. Exemples :
- Hoplitis cristatula (Mégachilidés) est une abeille méditerranéenne, présente en Provence, et spécialiste du genre Malva , les mauves.
- La collète du lierre Colletes hederae (Colletidés) est une abeille ultra-spécialisée puisqu’elle ne butine que l’espèce Hedera helix, le lierre.
La spécialisation abeille / fleur est un mutualisme, chacun en profite. Elle est bénéfique :
- Pour l’abeille, qui trouve dans le pollen et le nectar l’apport nutritionnel nécessaire, à la période voulue,
- Pour la fleur, puisqu’elle garantit sa pollinisation, une abeille spécialiste ne transportant sur elle que du pollen capable de la féconder.
Au contraire, une abeille généraliste transporterait sur elle de nombreux types de pollen, d’origines diverses, dont probablement très peu seraient compatibles.
Une abeille spécialiste est vulnérable : son destin est lié à celui de ses plantes préférées. Si elles disparaissent, elle risque de subir le même sort, et inversement. C’est pourquoi, quand on maltraite la biodiversité, elle s’écroule en chaînes.
Comment une fleur attire les abeilles ?
Prenons l’exemple de Chelostoma rapunculi, une abeille spécialiste des campanules. Une étude (Milet-Pinheiro 2015, voir Références) a montré qu’elle est fortement attirée, de façon innée, par la couleur bleue et par la senteur des fleurs de campanules.
L’indice couleur, repérable de loin, lui évite de perdre du temps sur des corolles blanches, jaunes, … , et de se diriger directement vers les bleues. Mais les campanules ne sont pas les seules fleurs bleues. C’est là qu’intervient l’indice senteur dégagé par la fleur de campanule.
La senteur est faite d’un assemblage de plusieurs dizaines de composants volatiles, dont certains sont caractéristiques de la famille botanique, du genre ou de l’espèce. De plus, ils indiquent la maturité de la fleur, la qualité du pollen et du nectar.
Ainsi une jeune Chelostoma rapunculi qui s’envole pour la 1ère fois, n’ayant jamais vu une fleur de sa courte existence, ne gaspille pas son énergie à butiner au hasard toutes les fleurs qu’elle croise. Sans passer par un apprentissage, elle repère vite celles qui lui conviennent. Son butinage efficace est l’assurance d’une nouvelle génération à venir.
Conclusion. En modifiant les indices floraux, forme, couleur et senteur, d’une fleur, la création horticole prend le risque de perturber le jeu subtil qui la relie à ses butineurs.
Vision des couleurs décalée
L’abeille ne voit pas le monde avec les mêmes couleurs que nous : sa vision est décalée. L’abeille voit le jaune, le bleu, l’ultra-violet, mais pas le rouge. Nous voyons le jaune, le bleu, le rouge mais pas l’ultra-violet.
Conséquence : en général, les fleurs à abeilles ne sont pas rouges, sinon elles ne les verraient pas. Mais il y a des exceptions : par exemple, la fleur rouge du coquelicot attire les abeilles, car elle réfléchit aussi de l’ultra-violet, qu’elles détectent.
Déclin, extinction et silence
Selon la Liste rouge des abeilles sauvages européennes, publiée en 2014 par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), environ une espèce sur dix est menacée d’extinction et une sur vingt est menacée de l’être dans un proche avenir.
Le silence risque de s’imposer à des plantes – des arbres fruitiers par exemple – qui, jadis, bourdonnaient gaiement par la présence des abeilles …