Profils de fleur

Fleur généraliste ou spécialiste

On a vu qu’un butineur peut être qualifié de généraliste ou spécialiste suivant la gamme de fleurs qu’il butine. Réciproquement, une fleur peut être qualifiée de généraliste ou spécialiste suivant la gamme de butineurs qui la pollinisent :

Une fleur est dite généraliste si une large gamme d’agents (abeilles, mouches, coléoptères, papillons, oiseaux, …) peut la polliniser. Les préférences des uns et des autres sont parfois contradictoires, mais la fleur trouve des compromis qui satisfont le plus grand nombre. Les ‘récompenses’ (nectar, pollen) sont facilement accessibles.

Une fleur est site spécialiste si sa pollinisation est principalement assurée par un petit groupe d’agents très performants dans le transfert de son pollen. En plus, elle a une petite gamme de pollinisateurs, secondaires, moins performants, moyennement adaptés. Sa forme complexe, plus profonde, plus sélective que celle de la fleur généraliste lui permet d’exclure tous les autres butineurs.

Coévolution et convergence

Une fleur spécialiste soutient ses bons pollinisateurs : les plus habiles, les mieux adaptés à sa morphologie, trustent les récompenses (nectar, pollen), les autres n’en collectent que peu. Réciproquement, les pollinisateurs visitent – donc pollinisent – avant tout les fleurs dont les caractéristiques florales leur conviennent le mieux.

Ainsi, une fleur spécialiste et ses principaux pollinisateurs s’ajustent et se soutiennent mutuellement pour satisfaire au mieux leurs attentes respectives : on parle de coévolution. Par exemple, la profondeur du tube d’une fleur spécialiste des papillons est souvent proche de la longueur de leur trompe.

La pression sélective exercée par les pollinisateurs est le principal moteur de l’extraordinaire évolution des fleurs depuis des millions d’années, alors que les autres organes (feuilles, tiges, racines) ont peu évolué, dans peu de directions.

Des fleurs spécialistes d’un même groupe de pollinisateurs, s’adaptant pour les satisfaire, finissent par se ressembler : elles ont convergé sous leur pression. C’est pourquoi on peut parler de fleur à colibris, fleur à papillons de jour, fleur à papillons de nuit, …

Bilan. L’évolution transforme constamment les êtres vivants. Une espèce ne persiste dans son environnement qu’au prix d’un effort adaptatif permanent. La Vie n’est pas un long fleuve tranquille.

Voici quelques profils de fleurs.

Fleur à abeille

Les abeilles ont plusieurs particularités. Contrairement aux autres butineurs, ce sont les seules capables d’exercer des forces sur la fleur. Par exemple, les phlomis et mufliers ont des corolles bilabiées fermées où la lèvre supérieure vient en appui sur celle du bas et bloque l’accès au tube. Cela leur permet d’exclure les petits butineurs, mais les abeilles les plus fortes ou les plus adroites (bourdons, xylocopes, … ) glissent leur tête entre les 2 lèvres, et les écartent avec énergie.

D’autre part, les abeilles collectent de grandes quantités de pollen et sont munies de brosses pour le transporter, contrairement aux papillons et colibris. Enfin, les abeilles ne détectent pas la plupart des fleurs rouges.

Les fleurs à abeille (fleurs mellitophiles) ont des traits communs :

  • La corolle présente une couleur vive, bleue, rose, mauve ou jaune, mais pas rouge, et souvent des marques sur les pétales qui guident l’abeille vers le nectar.
  • Le nectar est visqueux, en petite quantité mais concentré.
  • Elles sont parfumées.

Les fleurs à abeille sont butinées par une gamme plus ou moins large, selon leur forme. Chez les campanules, le nectar est facilement accessible aux abeilles, syrphes, coléoptères, … . Chez les pulmonaires, le nectar, secrété au fond d’un long tube, est réservé aux abeilles à longue langue.

Fleur à colibris

Les oiseaux nectarivores sont inconnus en Europe mais fréquents dans d’autres parties du globe. On distingue deux cas : ceux qui flottent dans l’air (vol stationnaire), comme les colibris d’Amérique, et ceux qui se perchent sur une branche, comme les souimangas de Madagascar.

Lorsque l’oiseau enfile son bec dans la corolle, sa tête vient en appui sur les anthères (extrémités des étamines) et se charge en pollen.

Ces oiseaux sont d’excellents pollinisateurs : ils ne consomment pas le pollen, butinent à un rythme élevé et volent vite sur de grandes distances, même par temps frais, quand les insectes cessent leur activité. Mais il leur faut beaucoup de « carburant », le nectar, pour compenser leur énorme dépense d’énergie.

Contrairement aux abeilles, les colibris sont insensibles au parfum, et visitent assidûment les fleurs rouges. Explication : le jeune colibri apprend à visiter les fleurs les plus riches en nectar. Or, elle sont rouges, car les abeilles voleuses de nectar et concurrentes des colibris n’y vont pas.

Voici le profil d’une fleur spécialiste des colibris (fleur ornithophile) :

  • La corolle est souvent rouge vif ou dans des teintes chaudes oranges, roses. Elle ne présente pas de guides à nectar.
  • Elle présente un tube long, trop étroit pour qu’une abeille s’y faufile. Dans le cas d’une corolle bilabiée, la lèvre inférieure est réduite ou pliée vers l’arrière, donc les abeilles n’ont pas de plate-forme où se poser.
  • Elle est inodore.
  • Elle offre un grand volume de nectar dilué, et elle est souvent inclinée vers le bas pour qu’il soit plus facile à pomper.
  • Les étamines dépassent largement du tube pour déposer du pollen sur la tête ou le bec de l’oiseau.

Cette fleur vise autant à satisfaire les colibris qu’à exclure les abeilles. Par sa grande taille et ses couleurs rutilantes, elle est fréquente dans nos jardins ornementaux, mais, à part quelques moro-sphinx et des voleurs de nectar, elle est peu visitée.

Fleur à papillons

Papillons de jour : les rhopalocères … , dont certains volent la nuit !

Le papillon de jour est un pollinisateur moins efficace que l’abeille, car il visite moins de fleurs et transporte moins de grains de pollen sur son corps. Mais, pour la fleur, il a l’avantage de ne pas consommer leur pollen. Il se pose sur les fleurs ou butine en vol stationnaire, comme le moro-sphynx.

Dans leur milieu naturel, certaines fleurs ont évolué pour faire de certains papillons spécifiques leurs principaux pollinisateurs. Une fleur à papillons (fleur psychophile) se présente ainsi :

  • La fleur est grande, solitaire, ou bien elle est petite (on parle de fleuron) et de nombreux fleurons s’agrègent pout former une inflorescence. Dans les deux cas, le papillon dispose d’une bonne plate-forme où se poser.
  • La fleur éclot le matin. Elle présente un canal ou un éperon très étroit (moins de 2 mm de diamètre), parfois très long, au fond duquel est secrété un nectar dilué.
  • La corolle a une couleur souvent rouge, parfois jaune, bleu violacé, sinon orange ou rose.
  • La fleur dégage un parfum léger mais agréablement sucré.
  • Les étamines sont souvent saillantes, pour déposer du pollen sur la tête du papillon.

Remarque : si, par exemple, le canal de la fleur est long de 5 cm, la trompe d’un papillon doit être longue d’au moins 5 cm pour atteindre le nectar secrété au fond du canal.

Si le canal est long (schématiquement plus de 15 mm), une fleur à papillons n’accueille qu’eux. Si la canal est court, elle est aussi butinée par des pollinisateurs secondaires à longues langues (abeilles, ‘mouches’) . C’est le cas de la Valériane rouge Centranthus ruber ou du Compagnon rouge Silene dioica.

En Amérique, les fleurs à papillons sont souvent visitées par des colibris.

Au jardin, les papillons butinent toute fleur riche en nectar qui leur fournit une base où se poser, même si elle correspond peu au profil ci-dessus. On les voit sur l’origan commun Origanum vulgare, la giroflée arbustive Erysimum ‘Bowles Mauve’, la verveine de Buenos-Aires Verbena bonariensis, la lavande officinale Lavandula angustifolia, l’eupatoire chanvrine Eupatorium cannabinum.

Fleur à papillons de nuit

Papillons de nuit : les hétérocères, sphinx, noctuelles, phalènes, pyrales, … dont certains volent le jour ! Ces travailleurs de l’ombre, d’importance sous-estimée, sont souvent de bon pollinisateurs.

Pour une fleur à papillons de nuit, il y a deux possibilités. Soit elle s’ouvre au crépuscule et se ferme à l’aube, et les papillons sont ses seuls pollinisateurs. Soit elle est ouverte jour et nuit, et elle en accueille d’autres le jour. C’est le cas de de la saponaire officinale Saponaria officinalis, de la Julienne des dames Hesperis matronalis, ou de la Monnaie du Pape Lunaria annua. Elles sont principalement pollinisées la nuit par des papillons, et accessoirement le jour par des butineurs à longues langues (abeilles, ‘mouches’).

Une fleur spécialiste des papillons de nuit (fleur phalaenophile) a des points communs avec une fleur à papillons de jour, mais aussi quelques différences :

  • Son éclosion a lieu au crépuscule.
  • Chaque soir, au crépuscule, elle dégage un parfum puissant et suave, et secrète un abondant nectar dilué, jusqu’à l’aube.
  • Pour être visible dans l’obscurité, la corolle est blanche ou dans des teintes claires, mauves, roses, crème, lumineuse au clair de Lune.
  • Rarement, elle est thermogénique : elle produit sa propre chaleur et offre un abri chaud aux insectes engourdis par la fraîcheur de la nuit.

Ces fleurs parfument les soirs d’été. Pour éviter de perturber les papillons nocturnes, réduire l’éclairage du jardin, source de pollution lumineuse.

Autres exemples : Compagnon blanc Silene latifolia, Chèvrefeuille des bois Lonicera periclymenum, Zaluzianskya capensis, Nicotiana sylvestris (tabac à fleur), Oenothera biennis, Mirabilis jalapa.

Les limites de ces profils

Certaines fleurs, en cours d’évolution, sont entre deux profils et présentent des traits contradictoires. Par exemple, les sauges Salvia guaranitica ou S. patens ont des corolles bleues comme les fleurs à abeilles, mais des tubes longs et étroits comme celles à colibris.

Conclusion

Un butineur ne butine pas une fleur au hasard. Pour l’attirer et le fidéliser, elle doit présenter des signes subtils dans sa forme, couleur, odeur. De plus, son nectar et pollen doivent lui être accessibles et correspondre à ses goûts.